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Le World Press Photo est nécessairement un concours de beauté

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Le WPP est un marronnier dont le succès médiatique est lié en partie aux scandales qui ont accompagné son histoire récente.

La photo réalisée par le lauréat 2013, Paul Hansen, ne déroge pas à la tradition.
Alain Mingam, lauréat du WPP en 1981: « La photo du World Press photo  2013 est à côté de la “plaque” comme on dit dans le métier. Paul Hansen à vouloir trop nous faire voir la mort de deux  jeunes palestiniens en novembre 2012  à Gaza, nous a empêchés de regarder en face la permanence du conflit israélo-palestinien, victime de cette course effrénée à l’esthétisation de la souffrance par l’image. »

Le responsable, la photographie numérique qui permet d’esthétiser la souffrance humaine:
“C’est la représentation qui pose problème : si on veut faire de la photo documentaire le théâtre par Photoshop d’une représentation du monde qui n’est plus conforme à la réalité, on n’est plus dans le photojournalisme, on est dans la photo artistique.” (Alain Mingam)

Déjà en 2010, Jean-François Leroy avait dénoncé l’overphotoshoping coupable de rendre les images trop belles: « on veut bien une réinterprétation mais pas une réécriture de la réalité. Je pense que certains photographes ne se rendent pas compte qu’ils sont en trains de se tirer des balles dans les pieds, quand la photo de news devient plus belle que la page de pub qui est a côté s’est délirant. Et nous allons nous battre contre cette tendance d’overphotoshoping. »

Photoshop sortirait l’image de son « champ naturel » et en ferait « une forme de non-vérité qu’on affiche, et à laquelle on donne une vertu esthétique qui n’a pas lieu d’être ». (Alain Mingam)

Cependant cette condamnation de procédés numériques qui, en révélant de façon trop insistante les intentions esthétiques de leurs auteurs, sortiraient les images du champ du photojournalisme, ne peut être réduite à une opposition argentique/numérique. Le débat existait déjà en argentique.

La critique radicale du travail de Sebastio Salgado par Michel Guerin et Jean-François Chevrier par exemple s’inscrivait dans cette problématique.
« Cette impression que l’émotion occulte la réflexion est d’autant plus forte que l’esthétisme de Salgado accentue sa vision globale du monde. Les gestes des victimes de l’exode, leurs regards, leurs mouvements, leur détresse sont érigés en stéréotypes. Plus une oeuvre est globalisante, moins elle dérange, répète souvent l’artiste américaine Martha Rosler. » (Michel Guerrin – 2000)

La profession avait d’ailleurs à l’époque pris majoritairement la défense de Salgado, alors que depuis que le problème de l’esthétisation des images est posé au travers du prisme numérique, elle est beaucoup plus divisée.

Je n’entrerai pas dans ce débat d’autant plus complexe que je ne doute pas qu’un grand nombre de ceux qui dénoncent la photographie de Paul Hansen sont des admirateurs de Salgado.

Mais on peut se demander s’il n’y a pas une contradiction entre la nature même d’un concours tel que le WPP et cette définition du photojournalisme.

La profession de photo-journaliste se porte mal pour des raisons qui tiennent principalement aux nouveaux modèles économiques de l’information.
De ce fait, elle a plus que jamais besoin de prix et de festivals  pour être valorisée économiquement et socialement, et ces évènements médiatiques sont soutenus par tous ceux qui aiment le photojournalisme et en particulier par les défenseurs d’une photographie argentique, pur, documentaire, qui  « certifierait » la vérité (pour reprendre les mots utilisés par Alain Mingam ).

Mais que ce soit en raison de la prise de vue et du développement du film argentique ou en raison de la la prise de vue et du développement de l’image numérique dans Photoshop, ce type de compétition suppose que la photographie lauréate soit esthétisante, globalisante et érige en stéréotypes des victimes.

Son objet:
« The main overall prize is awarded for “the single photograph that is not only the photojournalistic encapsulation of the year, but represents an issue, situation or event of great journalistic importance, and does so in a way that demonstrates an outstanding level of visual perception and creativity. »

Le principe même du concours suppose que l’image soit décontextualisée.

Sa prosécogénie doit être suffisamment forte pour que l’on puisse apprécier l’image sans connaître l’histoire qu’elle illustre.

En étant distinguée par ce prix, elle cesse de documenter un évènement particulier et devient l’image symbolique d’une année de photo-journalisme. Une icone.

Si les gestes, les regards, les mouvements, la détresse des personnes photographiées ne sont pas érigés en stéréotypes par la représentation photographique, on sera devant une anecdote qui ne pourra prétendre être “the photojournalistic encapsulation of the year”.

Dès lors que l’ « oustanding level of visual perception and creativity » n’est pas du registre de l’exploit technique, on tombe nécessairement dans le concours de beauté.

Un billet rédigé en 2012 sur l’évolution de ce qui a pu définir l’excellence en matière de photojournalisme depuis la création du WPP (1955)(Le photojournalisme à l’aune du World Press Photo)


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